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Éducation en temps de guerre et chiens — La fin du Japon moderne à l’intersection de l’école, des animaux et de la société

1. Prologue : la défaite et l’effondrement des valeurs


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La défaite du 15 août 1945 fit s’écrouler le système éducatif hérité de l’avant-guerre. Les témoignages d’élèves consignés dans Vivre à l’ombre de la mort révèlent, avec la question stupéfaite « La guerre… est terminée ? », le choc psychique d’un univers de valeurs implanté par l’État et anéanti en un instant.Jusqu’alors, on enseignait aux enfants à « vivre pour la nation » et à « servir sans craindre la mort ». Cette éducation s’appuyait sur la figure du chien, vecteur d’inculcation de la loyauté, du dévouement et du service à la patrie.


2. Le chien et le Rescrit impérial — Le chien comme symbole de loyauté


2.1 Superposer les vertus du Rescrit à la figure du chien


Le Rescrit impérial sur l’éducation (1890) mettait en avant des vertus — piété filiale, loyauté, fidélité, amitié — qui structurèrent l’enseignement. Par leur fidélité et leur dévouement supposés, les chiens servirent de supports concrets pour faire comprendre ces vertus aux élèves.

  • « Hachikō, le chien fidèle » = loyauté et amour constant

  • « Mary, chienne de guerre » = dévouement et bravoure

  • « Nachi et Kongō » = fidélité et courage militarisés


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2.2 Généalogie des « chiens scolaires »

Les récits de chiens fidèles figuraient dans les manuels de lecture et d’instruction morale (shūshin). Les enseignants les lisaient et invitaient les élèves à y voir l’image du citoyen idéal. Le chien devenait miroir de la morale civique et s’intégrait pleinement à l’architecture éducative.


3. Guerre et chiens — Mobilisation militariste à l’école


3.1 Les chiens et l’économie de guerre


Dès les années 1930, un système de chiens militaires fut mis en place ; des chiens estafettes, de garde ou de transport d’explosifs furent effectivement déployés. La presse et les manuels relataient souvent les exploits de « chiens de guerre courageux », incitant les enfants à romantiser la participation à la guerre.


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3.2 Les chiens dans les supports pédagogiques


  • Le Manuel de morale de l’École nationale présentait des anecdotes de chiens mourant pour protéger leur maître.

  • Les supports iconographiques montraient des chiens aux côtés de soldats en uniforme, nourrissant l’imaginaire de la loyauté et du service rendu à la nation.


3.3 Les « chiens militarisés » au quotidien


Les enfants mémorisaient des « histoires de fidélité canine » en même temps que des chants militaires ; des épisodes canins étaient intégrés aux cérémonies de départ des soldats. Au point de contact entre quotidien et guerre, le chien devint un vecteur d’intériorisation de l’éducation militariste.


4. Le système scolaire et l’institutionnalisation des supports canins


4.1 L’École nationale et le chien


Le décret de 1941 instituant l’École nationale posa un système éducatif fondé sur la conscription universelle. Le chien proliférait dans les matières de morale et de langue japonaise, non comme « éducation animalière » mais comme volet de la formation nationale.


4.2 Configuration des supports


  • Manuels de langue : nouvelles où le chien sauve son maître ; récits d’exploits de chiens de guerre

  • Dessin/Travaux manuels : scènes de chiens avec soldats ; chiens tenant le drapeau au soleil levant

  • Chants : hymnes louant le chien fidèle ; comptines à thème canin militaire


L’ensemble convergea vers l’usage du chien comme symbole de loyauté immédiatement saisissable par les enfants.


5. Monde canin et politiques publiques — Des chiens militaires à la préservation du « chien national »


5.1 Le système des chiens militaires et l’Association impériale des chiens militaires


L’Armée du Guandong institua l’élevage des chiens militaires en Mandchourie, et l’Association impériale des chiens militaires fut créée. L’élevage et le dressage canins furent promus à l’échelle nationale comme ressource de guerre, avec retombées dans les écoles et organisations de jeunesse.


5.2 La Société de préservation du chien japonais


Parallèlement, les années 1930 virent la fondation de la Nihon Ken Hozonkai (Société de préservation du chien japonais), qui érigea l’Akita, le Shiba, etc., en « chiens nationaux » et « symboles ethniques ». Cette dynamique rencontra l’usage scolaire du chien comme incarnation de « l’esprit japonais », laissant des traces dans les manuels et l’instruction morale.


5.3 Chiens étrangers et culture de compagnie


Tandis que le berger allemand était mis en avant pour l’usage militaire, la vogue de Hachikō élargit la culture urbaine du chien de compagnie. Le chien fut ainsi enrôlé selon deux axes : ressource de guerre et animal d’agrément.


6. Vie en temps de guerre et expériences enfantines


6.1 Pénuries de supports et de fournitures


À mesure que la guerre s’aggravait, manuels et fournitures furent rationnés ; crayons, cahiers, craies vinrent à manquer. Malgré la pénurie de papier, des « récits édifiants de chiens fidèles » restèrent régulièrement mis en avant.


6.2 Mobilisation scolaire et réemploi des récits canins


Les étudiants du supérieur furent mobilisés dans les usines et l’armement ; les élèves de l’École nationale participèrent aux travaux et aux collectes. Dans ces contextes, l’« esprit de service » et le « dévouement » du chien furent souvent invoqués pour renforcer une morale du sacrifice de soi.


7. Le paradoxe du chien et de la protection animale — Réquisition de fourrures et conflit culturel


Fin 1944, la réquisition des fourrures de chiens et de chats fut encouragée, portant un coup dévastateur à la culture de l’animal de compagnie. En exaltant le chien fidèle tout en exigeant la remise des peaux, la politique étatique plaçait les enfants face à la contradiction entre l’image canine inculquée à l’école et la réalité guerrière.Malgré les protestations d’associations de protection animale et d’enseignants dénonçant un acte « dont on rougirait devant la postérité », la situation perdura jusqu’à la défaite.


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8. La fin de la guerre et la rupture éducative


En août 1945, le système de valeurs fondé sur le Rescrit et les supports canins s’effondra d’un coup. La « loyauté, le dévouement, le service à la nation » inculqués par les récits canins furent requalifiés par l’éducation démocratique d’après-guerre comme reliquats du militarisme.Cependant, dans la littérature de jeunesse et les albums, le chien survécut en se transformant en symbole d’amitié, d’affection et d’éthique familiale. Les supports passèrent du « chien fidèle du soldat » au « chien-ami ».


9. Perspective comparée


9.1 Allemagne


Sous le régime nazi, le berger allemand fut érigé en « chien national » et militarisé/scolarisé, révélant des structures de mobilisation proches de celles du Japon.


9.2 Union soviétique


Des huskies de Sibérie et des laïkas furent mobilisés pour l’armée et l’exploration, et utilisés dans l’éducation et la propagande.


9.3 États-Unis et Royaume-Uni


« Lassie » et les Saint-Bernard furent diffusés, y compris en temps de guerre, comme « chiens protégeant le foyer » dans films éducatifs et albums — à rebours de l’usage éducatif militarisé japonais.


10. Synthèse — Sens historico-éducatif des supports canins


La pédagogisation du chien dans l’éducation de guerre présente plusieurs dimensions :


  1. Matérialisation de l’idéal d’État — Loyauté et dévouement furent confiés au chien et intériorisés par les élèves.

  2. Médiation de la mobilisation militariste — Les récits de chiens militaires ont naturalisé la participation à la guerre.

  3. Contradiction culturelle — On loue le chien fidèle tout en réquisitionnant sa fourrure.

  4. Intérêt comparatif — Par rapport à l’Europe et aux États-Unis, le Japon a singularisé l’usage scolaire du chien en l’orientant vers la loyauté à l’État.


11. Pistes de recherche


  • Analyse des archives de rédaction des manuels et des matériaux canins

  • Études des interfaces entre associations cynophiles, système des chiens militaires et école

  • Articulation entre représentations folkloriques/religieuses du chien et éducation de guerre

  • Comparaisons internationales pour dégager l’universel et le spécifique d’une « culture éducative du chien »


Conclusion


L’histoire croisée de l’éducation de guerre et du chien n’est ni une simple histoire de l’école, ni une simple histoire animale : c’est un microcosme composite de la manière dont l’État, la culture et la société ont façonné l’enfance. Si la loyauté et le dévouement racontés à travers le chien furent disqualifiés après-guerre, les thèmes sous-jacents — coexistence homme-animal et puissance symbolique du chien — demeurent pertinents pour l’éducation contemporaine.

 
 
 

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