Le chien et l’éducation — Rôles pluriels et significations culturelles dans les manuels d’avant-guerre et de guerre
- Suda Hiroko すだDOGファーム
- 9 oct.
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1. Introduction : pourquoi le chien fut-il continuellement choisi comme support pédagogique ?
Dans l’histoire de l’éducation du Japon moderne, rares sont les animaux qui apparaissent aussi largement que le chien. En arithmétique, instruction morale (shūshin), chant, dessin et sciences — pratiquement toutes les disciplines majeures — le chien est présent, figure extrêmement familière pour les élèves.Pourquoi le chien ? D’abord parce qu’il était ancré dans la vie ordinaire, rurale comme urbaine, donc proche des enfants. Ensuite parce qu’il symbolisait des vertus — « loyauté », « labeur », « amitié » — facilement articulables à l’idéologie nationale. Enfin, comme les supports étrangers recouraient eux aussi largement au chien, l’école japonaise put intégrer aisément ces tendances internationales.

2. Le chien dans l’enseignement des sciences
2.1 Le chien dans les manuels scientifiques
Le Précis de zoologie (1883) définit le chien comme « l’animal domestique le plus accoutumé à l’homme, remarquable par sa fidélité et son affection », et décrit ses fonctions de veille nocturne et de chasse. Cette formulation, tout en relevant de la zoologie, porte déjà une charge éthique. Autrement dit, même en sciences, le chien servit de support double : « savoir scientifique » et « moralité ».

2.2 La mise en parallèle du loup
Certains manuels de sciences pour le supérieur élémentaire évoquaient le loup du Japon (Canis lupus hodophilax) et le loup d’Ezo (Canis lupus hattai). En opposant la « sauvagerie » du loup à la « domesticité » du chien, les textes érigeaient le chien en symbole de civilisation et d’ordre.
3. Instruction morale (shūshin) et chien
3.1 Les fables d’Ésope et le chien
Des fables telles que « Le chien gourmand » et « Le chien et son reflet » furent largement utilisées pour enseigner la maîtrise du désir et la vertu de sincérité. Adaptées aux manuels, elles furent reliées à des conceptions morales japonaises.
3.2 Récits de chiens fidèles et instruction morale

Sous l’ère Shōwa, « Hachikō, le chien fidèle » fut intégré comme texte scolaire, offrant un exemple concret de « loyauté » et de « réciprocité des obligations ». À travers le chien, la loyauté envers la nation et l’Empereur était naturalisée.
3.3 Supports sur les chiens militaires
En temps de guerre, les exploits des chiens « Nachi », « Kongō » et « Mary » furent inclus dans les manuels de morale, donnant aux enfants une image idéalisée du soldat. Le chien fut ainsi optimisé en support militariste facilement accessible aux plus jeunes.
4. Le chien dans les manuels d’arithmétique
4.1 Apprentissage des nombres avec le chien
Les manuels d’arithmétique primaire recouraient fréquemment à des problèmes du type : « Il y a trois chiens. Deux autres arrivent. Combien y en a-t-il au total ? » Chiens, chats, poules — des animaux familiers — servaient d’amorces pour les concepts numériques.
4.2 L’enseignement du classificateur -hiki

Dans l’apprentissage des classificateurs numériques (p. ex. ippiki, nihiki), le chien devint un exemple privilégié. Ancrés dans la langue et la culture japonaises, ces classificateurs firent du chien un pont entre arithmétique et langue.
5. Éducation musicale et chien
Le chien fut aussi un sujet prisé des chants scolaires.
Le chant de l’ère Meiji « Chien » dépeint des enfants jouant avec un chien, dans une tonalité chaleureuse.
Dans le chant d’hiver « Neige », des enfants badinent avec un chien sous les flocons, célébrant la coexistence avec la nature et les animaux.
Ces pièces dépassaient la simple éducation musicale : elles participaient d’une éducation artistique cultivant sensibilité et empathie.
6. Dessin et travaux manuels avec le chien
6.1 Croquis d’animaux

En arts visuels, le chien revenait fréquemment comme sujet : proche et facilement observable, expressif dans ses mouvements, il constituait un excellent entraînement à l’observation et à la restitution.
6.2 Supports à forte coloration militariste
Sous Shōwa, apparurent des consignes telles que « Dessinons un chien militaire ». Même l’éducation artistique fut reliée à l’exaltation de l’effort de guerre via la figure canine.
7. Littérature de jeunesse et chien
7.1 Importation des œuvres occidentales
Des traductions comme Lad: A Dog et les récits animaliers de Seton ont ancré l’image du chien comme « loyauté et amitié ».
7.2 Le chien dans la littérature japonaise
Chez Nankichi Niimi et Kenji Miyazawa, le chien symbolise souvent le lien avec l’humain et une certaine mélancolie. Ces textes furent également adaptés comme supports et intégrés à l’enseignement de la lecture.
8. Comparaison internationale : universalité du support canin et spécificité japonaise
8.1 Exemples européens et américains
Allemagne : Éducation à la loyauté nationale à travers le berger allemand.
Royaume-Uni : Éducation humanitaire via les récits de sauvetage des Saint-Bernard.
États-Unis : Éthique familiale transmise par les « chiens du foyer », avec « Lassie » pour emblème.
8.2 Spécificité du Japon
Au Japon, la liaison directe « chien fidèle = loyauté envers l’Empereur » est saillante. Si le chien est un support pédagogique courant dans le monde, l’école d’avant-guerre au Japon l’a particulièrement instrumentalisé comme vecteur de loyauté à l’État.
9. La polyvalence pédagogique du support canin
Le trait distinctif du support canin réside dans sa nature multi-couches :
Sciences : écologie, classification, observation.
Morale : loyauté, maîtrise du désir.
Arithmétique : concepts numériques et classificateurs.
Musique : formation de la sensibilité.
Arts : développement de l’observation et de la créativité.
Le chien, véritable « personnage transdisciplinaire », irriguait l’ensemble du curriculum comme présence symbolique.
10. Synthèse et chantiers de recherche
Dans l’enseignement d’avant-guerre, le support canin, proche du vécu des enfants, constitua un carrefour reliant sciences, éthique, affect, mathématiques et arts. Parallèlement, à l’ère Shōwa, il devint un réceptacle de l’idéologie nationale — récits de chiens fidèles et supports sur les chiens militaires servant à l’exaltation guerrière.
Chantiers à venir :
Analyses de fréquence des supports canins dans les manuels ;
Évolutions diachroniques des représentations ;
Relations avec les mouvements de préservation des chiens et le système des chiens militaires ;
Comparaisons avec les supports occidentaux ;
Influence sur l’après-guerre (passage au « chien-ami »).
Conclusion
L’histoire du support canin dépasse celle d’une simple ressource didactique : elle est le miroir des modalités par lesquelles l’État, la culture et la société ont voulu former l’enfance. Le chien a servi à transmettre des savoirs scientifiques, à cultiver la morale, à introduire des concepts mathématiques, à développer l’affect, et même à incarner la loyauté envers l’État.
En ce sens, le « support canin » constitue un microcosme de l’histoire de l’éducation moderne au Japon et un objet essentiel pour comprendre l’histoire partagée de l’être humain et du chien.
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